Nogent, Eldorado du dimanche

Marcel Carné, né en 1906, est un fou de cinéma. Jeune amateur fervent, il se rend très régulièrement au cinéma avec les quelques francs donnés par sa grand-mère. Son père, ébéniste, souhaitant que son fils suive la même voie que lui, Marcel s’engage alors dans des études sur la taille du bois. Mais le pécule octroyé par le père n’étant pas suffisant pour assouvir la passion cinéphile du fils, il abandonne ses études pour prendre un poste dans une banque, puis dans un cabinet d’assurances. 

C’est la comédienne Françoise Rosay, rencontrée chez des amis communs, qui lui mettra le pied à l’étrier, en convainquant son mari, le réalisateur Jacques Feyder, d’engager le jeune homme. Celui-ci sera ainsi assistant-réalisateur sur Les Nouveaux Messieurs en 1928. Au retour de son service militaire, en 1929, tout en travaillant comme assistant (Cagliostro de Richard Oswald), Marcel Carné devient critique pour les revues Cinémagazine et Hebdo-Film. 

En 1929, avec son ami Michel Sanvoisin, il achète une caméra. Tous les dimanches, pendant plusieurs mois, il filme Nogent-sur-Marne, banlieue verdoyante pleine de guinguettes où les Parisiens viennent canoter, pique-niquer et danser. Pour Carné, Nogent était une œuvre de jeunesse. Pour une partie de la critique et des historiens, c'est une matrice de l’œuvre humaniste et sociale à venir. Entre documentaire et film d’avant-garde, Nogent est le seul film que Carné tournera entièrement en extérieurs. Plans courts sur les remous de la Marne, les corps, le ciel, Nogent est une suite d’impressions. « De ce réel "brut", Carné livre une interprétation plastique et sociologique qui lui permet d’affirmer le regard documentaire comme le fruit d’une subjectivité essentielle. » (Éric Thouvenel, Positif n°550, décembre 2006)