Lettre d'une inconnue

Après la défaite de 1940, l’Allemand Max Ophuls quitte la France où il s’était réfugié depuis 1933, et s’exile aux États-Unis. Lettre d’une inconnue est son second film hollywoodien. C’est Joan Fontaine, à la tête de Rampart Productions avec son époux William Dozier, qui lui propose d’adapter la nouvelle de Stefan Zweig. Ophuls et son scénariste Howard Koch l’épurent jusqu’au sublime, et imposent à Hollywood ce qui fait la marque du cinéaste : la Vienne du début du siècle, le romantisme du manque, des adieux, des retrouvailles, un air de Franz Liszt, une femme victime de sa passion et de l’égoïsme masculin.

Chronique d’un amour malade et vain au cœur d’une Vienne anxiogène, Lettre d’une inconnue est un film d'un lyrisme tragique. Les tourments de la passion amoureuse sont portés par Joan Fontaine, l’éternelle Lisa Berndle, celle que le pianiste voit, sans jamais la regarder, puis oublie, toujours.

Sœur d’Olivia de Havilland, avec qui la concurrence fut toujours féroce, Joan Fontaine est une habituée des rôles d’amoureuses introverties et passionnées. Révélée comme la première blonde hollywoodienne d’Hitchcock dans Rebecca, elle est aussi une femme mystérieuse dans Jane Eyre de Robert Stevenson ou Le Crime de Madame Lexton de Sam Wood. Mais, comme le souligne Antoine Sire, « le rôle de cette femme, prisonnière d’un amour sans espoir mais assumant pleinement sa préférence pour le malheur, ne valut pas à Joan Fontaine un immense succès critique, et le film fut un échec commercial complet. Pourtant, le talent d’Ophuls à reconstituer la Vienne qu’il a connue tout en mettant le projecteur sur le destin de deux êtres à la dérive, fait de Letter from an Unknown Woman un grand film, où l’actrice livre peut-être la meilleure prestation de sa carrière. » (Hollywood, la cité des femmes )