L'Etrange créature du lac noir 2D/3D

Alors que la télévision entre dans de nombreux foyers américains et que le film fantastique s’essouffle un peu, Universal décide d’investir dans la science-fiction, et pour son nouvel opus, d’y ajouter l'attrayante technique de cinéma en relief. Naît alors un des ultimes monstres issus de ces très imaginatifs studios, Gillman, et un film qui fait figure de légende pour de nombreuses générations. Certes L’Étrange créature du lac noir est un film de science-fiction. Mais à l’ère de la bombe atomique, des catastrophes et de la paranoïa ambiante, le film de Jack Arnold flirte avec un ton réaliste proche du documentaire. Il s’autorise même quelques digressions contemplatives : lente descente du fleuve, superbes vues sous-marines…

L’Étrange créature du lac noir présente aussi tous les atours d’un grand film d’aventures, avec sa luxuriante forêt tropicale, la rivalité entre scientifiques, et, évidemment, une belle (et unique) femme dans l’expédition. L’analogie avec le King Kong de Merian C. Cooper et Ernest B. Schoedsack (1933) est évidente. Ainsi, tel un King Kong des années 1950, Gillman, l’homme branchie, sème la terreur et la mort chez ceux qui viennent perturber son milieu naturel. Jusqu’à l’arrivée d’une femme. Dans cette nouvelle variation de La Belle et la Bête, une scène inoubliable : le ballet aquatique entre la bête lovecraftienne et la belle scientifique. Cette étreinte à distance est un des sommets de l’érotisme des fifties, et la scène inspira Steven Spielberg dans Les Dents de la mer (1975).

À l’instar du monstre de Frankenstein, Gillman est humanisé par son créateur Jack Arnold. « J’avais beaucoup de tendresse pour la Créature, que j’appelais familièrement "Beastie" ("grosse bête"). Je l’aimais beaucoup. Nous, les hommes, nous débarquons pour apporter nos maladies, nos drogues, notre "culture". Nous gâchons tout. C’était un commentaire sur notre "civilisation". Ma "grosse bête" aurait été très gentille, si on l’avait laissé tranquille. Et j’avais en tout cas beaucoup de sympathie pour elle. » (Jack Arnold, L’Écran fantastique n°7, 1974) Un sentiment immuable que le cinéaste Billy Wilder fera ressentir au personnage de Marilyn Monroe, sortant de la projection du film, dans Sept ans de réflexion (1955) : « Il faisait peur à voir, mais il n’était pas si mauvais. Je pense qu’il avait seulement besoin d’affection, il voulait qu’on l’aime et qu’on le désire. »