Les Voleurs

« S’il est un film de genre, j’espère qu’il est du genre mauvais. » C’est ainsi qu’André Téchiné décrivait à sa sortie Les Voleurs au journal Libération (21 août 1996). Le cinéaste ne voulait plus parler de ce qu’il connaissait. Il part voir ailleurs, « comme un explorateur ». Il se lance donc dans un film d’une noirceur infinie et pourtant d’une vitalité folle, coécrit avec Gilles Taurand et Michel Alexandre, ancien flic et coscénariste de Bertrand Tavernier pour L 627. 

D’une ambitieuse construction chronologiquement éclatée, adoptant les différents points de vue des personnages, mélangeant causes et conséquences, le film est pourtant limpide, toujours crédible dans cette linéarité qui se brise et se reconstruit en permanence. André Téchiné porte ici ses thèmes de prédilection : la délinquance, le début de la vie, les vicissitudes de la famille. Attisés par une violence ardente, les rapports humains sont régis par le conflit, la trahison et l’incommunicabilité. 

Film à la saveur amère en partie filmé à Lyon, Les Voleurs est empli de tristesse et de beauté. Téchiné cherchait « à peindre des personnages de chair et de sang qui tiennent debout et qui projettent leur ombre ». Il fait de Daniel Auteuil un frère et un fils révolté, de Laurence Côte une jeune femme androgyne, amante de deux frères et d’une femme, trouble et troublante, et donne à Catherine Deneuve l’occasion d’incarner cette enseignante mature, éperdument amoureuse de Juliette, errant pour la retrouver, et passionnée jusqu’au désespoir. Une relation intense, filmée avec pudeur.

Des personnages des Voleurs, Serge Kaganski écrira justement : « Tous sont fiévreux, "non réconciliés", "en guerre" avec les autres ou eux-mêmes, en perpétuel état de désir (de sexe, d’amour, de reconnaissance, de paix avec soi-même…), esquissant un obsessionnel ballet existentiel, une polyphonie de passions superbement captées par la caméra charnelle de Téchiné. » (Les Inrockuptibles, 15 janvier 2004)