Le Mécano de la "General"

« À partir du moment où vous me donnez une locomotive et des choses comme ça pour jouer avec, en règle générale, je trouve toujours une façon de les utiliser pour faire rire. » Le Mécano de la "General" est effectivement un monument du burlesque, sans doute l’un des films les plus connus de Keaton, qui, à l’inverse de beaucoup d’autres, n’a jamais vraiment disparu des écrans des cinémathèques et ciné-clubs.

Fait rare dans le cinéma muet, le film est inspiré d’un épisode réel de la guerre de Sécession, lorsque des Nordistes volèrent un train sudiste afin de désorganiser les communications ; le machiniste se lança alors dans une course folle après sa locomotive. Sous l’impulsion de Keaton, le film prend des allures de documentaire. Tout est réel : les locomotives reconstruites à l’identique avec des chaudières à bois (évitant tout raccord studio dont Keaton avait horreur), les ponts, la fameuse chute d’une locomotive dans la rivière (où elle serait encore…). Une forge fut même installée dans le studio afin de préparer le film !

Au sommet de sa mise en scène, Keaton multiplie les plans à la beauté géométrique, tirant partie de chaque espace au maximum. Si habituellement la poursuite est un des ressorts du burlesque, elle constitue ici la quasi-totalité de l’action : la poursuite dans un sens, la fuite dans l’autre. La géométrie est partout : dans le sens de marche de chaque armée (de gauche à droite pour un camp, en sens inverse pour l’autre), dans les travellings de la locomotive, filmée depuis un autre train roulant sur une voie parallèle… « Une bonne scène comique comporte souvent plus de calculs mathématiques qu’un ouvrage de mécanique » : c’est bien le génie scientifique de Keaton qui irrigue tout le film.

Au sein d’un pays en guerre, d’un monde désemparé, où règne l’absurdité des combats, Johnny Gray, mécano de la "General", est un homme maladroit, mais qui finit par dominer ses poursuivants et atteindre son but. Il serait facile de déclarer que Le Mécano de la "General" est un film profondément keatonien, mais effectivement, comment pourrait-il en être autrement : « C’est mon propre scénario, ma propre continuité : j’ai dirigé et monté le film, j’ai aussi rédigé les intertitres. C’était mon projet favori. » (Buster Keaton)