Allemagne 90 neuf zéro

Film expérimental, faux documentaire ? Difficile de qualifier cette commande d’Antenne 2 – future France 2 – qui demandait un film sur la solitude. Godard n’a pas souhaité travailler sur la solitude d’un être, mais sur celle d’un pays. L’ex-Allemagne de l’Ouest s’est alors imposée comme cadre idéal pour représenter l’errance.

Lemmy Caution, loin de son image ancienne d’agent secret charmeur, bagarreur et amateur de whisky, est désormais âgé et perdu dans une société qui n’a plus besoin de lui, métaphore d’un monde en proie à des changements si radicaux qu’il ne peut les assimiler. 

À travers ce film, Jean-Luc Godard questionne ce qui est historique et ce qui ne l’est pas : pourquoi un jour est-il plus historique qu’un autre ? Il abandonne la narration pour privilégier des intermèdes musicaux, littéraires et picturaux. Ce sont des bribes, rapides et fugaces, comme les souvenirs de cette nation. 

« Qu’est-ce que l’Allemagne ? Un pays ? Deux pays ? Une nation ? "Non", semble dire Godard tout au long de ce film inspiré de bout en bout, l’Allemagne est d’abord un corpus. "Recueil de pièces, de documents concernant une même discipline", nous dit Le Petit Robert qui en connait un rayon. Et Godard d’avancer ses pièces et ses documents : une phrase de Freud, quelque notes de Bach, une croix gammée, des images de Lang ou Fassbinder, un titre de Hegel, un personnage de Goethe, un souvenir de Giraudoux… Cinéaste très moderne à la culture classique, Godard se promène à travers ses paysages intérieurs, ceux d’une Allemagne devenue imaginaire à force d’être intime. » (Frédéric Bonnaud,Les Inrockuptibles n°100, avril 1995)