Tout ce qu'il faut savoir sur
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Pionnière "queer"
Tout ce qu'il faut savoir sur
Dorothy Arzner en 5 points


Posté le 23.08.2016 à 10H36


 

Elle fut la première - et longtemps la seule - femme cinéaste acceptée par Hollywood. Dorothy Arzner réalisa une quinzaine de films en plein "âge d'or", du crépuscule du muet aux prémices du déclin des grands studios. Née à San Francisco, sans doute en 1897 - mais son acte de naissance fut détruit lors du tremblement de terre de 1906 -, cette fille de restaurateur (le Café Hoffmann à Los Angeles, où venaient de nombreux réalisateurs dans les années 20) gravit un à un les échelons du métier : monteuse, puis scénariste, puis enfin réalisatrice - en 1927, avec Fashion for women. Son attention aux personnages féminins et sa personnalité en firent une figure unique d'Hollywood.

 

1/ Un look singulier

"Il m'a toujours traitée comme si j'étais son fils", disait sans sourciller Dorothy Arzner, de James Cruze, le cinéaste du muet qui lui avait mis le pied à l'étrier. De fait, les photos de tournage de Vaincre ou mourir (1926), auquel elle participa comme coscénariste, la montrent en hardi moussaillon, tenant fermement la barre du navire où se situe l'action du film. Sans se cacher, Dorothy Arzner s'habillait en homme et aimait les femmes, ce qui faisait d'elle, dans le vocabulaire lesbien, une "butch" (une femme masculine qui ne cache pas ses préférences sexuelles). A Hollywood, dans les années 20 ou 30, l'homosexualité (masculine ou féminine) était tolérée mais jamais évoquée publiquement. Les professionnels savaient que Dorothy Arzner partageait sa vie avec la chorégraphe Marion Morgan, qui travailla sur ses premiers films. Les deux femmes se retirèrent à la Quinta, en Californie, où mourut Arzner en 1979.

ET-LA-FEMME-CREA-HOLLYWOOD

 

2/ La "star-maker"

Si c'est d'abord son savoir-faire technique - notamment quelques scènes supplémentaires et le montage d'Arènes sanglantes, de Fred Niblo, en 1922 - qui la propulse dans le "business", c'est sa capacité à lancer des comédiennes qui établit la réputation d'Arzner. Elle "gère" ainsi le passage au parlant de Clara Bow, l'ex-"it girl" de la fin du muet. Elle pose même - la photo est connue - avec l'actrice sur ses genoux... Moins célèbres, Esther Ralston (qui la jugea trop "entreprenante") et Ruth Chatterton, puis, plus tard, Katharine Hepburn, Rosalind Russell (dans L'Obsession de Madame Craig, 1936, considéré par beaucoup comme son meilleur film) ou Lucille Ball, profiteront largement de la "Arzner touch". Arzner trouva cependant Hepburn trop hautaine sur le tournage de La Phalène d'argent (1933) et la comédienne lui préféra vite George Cukor...


Obsession-de-Madame-Craig-ed-Arzner-02

 

3 / Femmes entre elles

Si Arzner tourna son lot de tragicomédies mondaines - avec héritières mal mariées à des maris volages, par exemple - elle excellait à filmer les communautés de femmes, réunies, par exemple, dans le cadre du travail. C'est le cas de Working girls (1931), qui lâche dans New York deux soeurs provinciales à la recherche de l'amour et de la réussite professionnelle. Ou de Dance, girl, dance (1940), peut-être son film le plus célèbre, mésaventures d'une troupe de danseuses (l'impératif du titre en dit long sur leur condition). Ces femmes entre elles, qui cherchent à exister dans un monde d'hommes, Arzner les réunit aussi dans la vraie vie : outre les actrices qu'elle dirige avec délicatesse et fermeté, outre Marion Morgan déjà citée, la monteuse Nan Heron, qui lui apprit le métier ou les scénaristes Zoe Akins et Mary McCall qui s'épanouissent auprès d'elle, forment un gynécée ultra-créatif. On reprochera à Arzner tout au long de sa carrière des personnages masculins trop faibles...


Working-Girls-ed-Arzner01

 

4/ "A woman's director"

"Un(e) cinéaste pour femme". Comme le note la chercheuse Judith Mayne dans Directed by Dorothy Arzner (le seul ouvrage consacré à la cinéaste), le même "label" sert à George Cukor et à Dorothy Arzner. Il signifie que les deux cinéastes font la part belle, dans leurs films, aux personnages féminins, et également qu'ils s'adressent en priorité aux spectatrices. Mais Cukor ne refuse pas le "glamour", alors qu'Arzner traque la vérité. Il y a quelque chose d'incroyablement spontané, de sincère et de véritable, dans la façon dont ses héroïnes sourient : le sourire plein d'indulgence de Sylvia Sidney dans Merrily we go to hell (1932), une merveilleuse générosité qui la pousse à y croire encore alors que son mari picole et la trompe; celui, émerveillé, de Joan Crawford découvrant la suite magnifique de son hôtel tyrolien dans L'Inconnue du Palace (1937) - elle se fait passer pour une femme riche et elle sait que ça ne durera pas. Cette authenticité-là est rare.


dance-girl-dance

 

5/ L'après-cinéma

On ne sait pas avec certitude pourquoi Dorothy Arzner abandonne la partie en 1943. Elle quitte, malade, le tournage de First comes courage (qui sera achevé par Charles Vidor). Sans doute les "boss" d'Hollywood la rejettent-ils : Harry Cohn, de la Columbia, lui a mené la vie dure sur ce dernier film, mais surtout Louis B Mayer, de la MGM, a répandu la rumeur qu'elle était une cinéaste "difficile" après l'échec (injuste) de L'Inconnue du Palace. Elle quitte physiquement Hollywood en 1951. Elle tournera encore quelques pubs (avec Joan Crawford), écrira de drôles de programmes radio (où elle se sert de la fiction pour aider ses auditrices à s'émanciper), deviendra prof à UCLA (l'Université de Californie à Los Angeles). Parmi ses élèves, un certain Francis Ford Coppola. "Vous devez toujours garder cet ego de jeune homme qui pense qu'il sait tout", lui lance-t--elle, en bonne rebelle. Il n'oubliera pas le conseil.




Histoire permanente des femmes cinéastes : Dorothy Arzner


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