Posté le 11.10.2016 à 17h
« A tout âge, on regarde une minute de Keaton et on ne peut en décrocher. Ses films sont bien plus que des comédies de distraction : ils nous rendent heureux, et par leur sincérité et leur intelligence, nous ouvrent les yeux et l’esprit. » C’est ainsi que s’exprime Serge Bromberg, producteur, réalisateur, directeur artistique et directeur de collections DVD de cinéma muet. Entretien.
Le Caméraman fait l’objet de trois projections au festival (à la première au Comoedia, Quentin Tarantino a failli en casser sa chaise de rire !). Il est le premier film de Buster Keaton au sein de la MGM, une expérience qui marquera le début de sa descente aux enfers. Comment expliquez-vous que ce film-là en particulier ait rencontré le public ?
On se fait souvent une image angélique du cinéma. La réalité est que Keaton, dont les films avaient de moins en moins de succès avec son producteur précédent, était un important actif de MGM qui donna au film une importante promotion et une distribution très active, capitalisant sur la notoriété de Buster. Mais Le Caméraman, c’est surtout le dernier grand film réalisé par Keaton qui prit le contrôle de la mise en scène, bien que par contrat il n’en était plus qu’un simple acteur. Pourtant, déjà, Le Caméraman est plus marqué par les recettes de Hollywood, à commencer par l’inévitable romance, qui vient déjà parasiter l’univers de ce grand maître.
L’arrivée du parlant l’année précédente avait de toute façon scellé le sort du cinéma burlesque, et si Buster eut encore ce dernier grand succès, c’est aussi – et surtout – parce que le circuit de salles n’avait pas encore eu le temps d’équiper tous les projecteurs de systèmes de lecture sonore. Lors de la sortie du film suivant de Keaton en 1929, Le Figurant, le cinéma sonore est déjà dans toutes les oreilles, et les gens ne veulent plus que des « talkies », peu importe qu’ils soient réussis ou non : le vent a définitivement tourné.
Pourquoi faut-il courir (re)voir ses films ?
Au début du cinéma burlesque, il y eut Chaplin, puis il y eut Keaton. Ces deux astres incandescents ont illuminé chacun à leur manière les quinze dernières années du cinéma muet (que l’on appelait alors simplement « cinéma », puisque le son n’existait pas). Leur imagination fut sans limite, leur génie formel et leur virtuosité à jouer du langage cinématographique et de la mise en scène ont encore bien peux d’équivalents aujourd’hui. L’un et l’autre avaient écumé les planches du vaudeville, et fait l’expérience du public dans ce qu’elle a de plus formateur et de plus cruel.
Mais pour l’un comme pour l’autre, le résultat cinématographique est irrésistible, surprenant, et presque universel.
Propos recueillis par Charlotte Pavard
Le Cameraman de Buster Keaton (1928, 1h16)