Le Jour se lève encore


Posté le 14.10.2016 à 16h


 

« L’amour est aveugle et sa canne est rose » selon l’aphorisme de Gainsbourg ; ici littéralement illustré au moment où le film s’apprête à amorcer un des plus remarquables flashback de toute l’histoire du cinéma (certains affirment que c’est le premier.) L’aveugle est précisément dans l’escalier au moment où déboule le corps de l’infâme Valentin (immense Jules Berry), qui paye là le prix fort d’une histoire d’amour à l’eau de rose. Un pruneau dans le buffet fiévreusement lâché par un Jean Gabin, (François), excédé. Mais n’allons pas trop vite…

 

Jour Se Leve Photo 3 Tamasa

 

Ont-ils jamais remarqué, nos Parigots contemporains, qu’à chaque angle d’avenue, de rue, de boulevard d’importance de leur capitale, s’était vue érigée une bâtisse en pierres de taille à étages, couvant et le jour et la nuit ses appartements bourgeois comme une chouette ses petits, et si souvent seule, bêtement dressée ? La volonté du Baron Hausmann étant que chacune de ces élévations donnent le "la" pour l’esthétique des bâtisses qui devaient y être accolées. Echec patent, risible et visible pour tout un chacun qui sait regarder.

Tout ça pour vous dire que là où habite François ça n’a rien et tout à voir. On le voit ruminer son malheur tout le temps que dure cette histoire dans un modeste garni niché sous les toits d’une de ces bâtisses d’angle si exagérément haute qu’elle en paraît d’autant plus esseulée. C’est le coup de génie d’Alexandre Trauner, avoir multiplier les étages pour mieux exprimer la solitude du héros. Il est comme une sentinelle isolée au sommet de sa tour, un gardien perclus d’amour abandonné de tous dans une banlieue maussade qui n’attend plus que la guerre. Ajoutez au talent du décorateur la photographie somptueusement expressionniste de Curt Courant, chef opérateur d’origine allemande qui a appris son métier auprès de maitres comme Fritz Lang ou Max Ophuls et vous atteignez à l’excellence du genre dit du réalisme poétique. Cette conjugaison de talents tant techniques qu’artistiques - il faut citer en plus du fameux tandem Carné / Prévert la belle Arletty toujours épatante - offrira un beau succès critique au film qui se verra pourtant interdit par la censure du gouvernement de Vichy quelques mois à peine après sa sortie, celle-ci jugeant l’œuvre trop démoralisante !

Il faut dire que cette histoire de benêt à béret, avec « un œil gai et un œil triste », qui voit lui passer sous le nez le charme mutin de la petite fleuriste au bénéfice d’un dresseur de caniches fourbe et cynique n’engendre pas franchement l’hilarité. N’était la vitalité gouailleuse de la tendre Clara on ne voit pas bien ce qui pourrait détourner François de son profond dépit. « J’aime pas les gens qui mentent. » lâche-t-il un moment mais autour de lui tout semble relever du mensonge, de la promesse non tenue et des faux semblants. Le Front populaire est bien mort et la guerre s’impatiente au dehors. Le film retrouvera les écrans après la guerre mais conservera ses coupes au montage et il faudra attendre 2014 et sa version restaurée pour que nous soit rendue cette scène délicieuse qui laisse entrevoir nue la charmante Arletty et ses petits seins ronds…

 

Pierre Collier

 


 

Le Jour se lève de Marcel Carné (1939, 1h33)

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