Keep your eyes on the road


Posté le 10.10.2016 à 10h


 

« Je suis prêt à mourir… mais pas d’ennui. » C’est sur ces mots qui tombent comme une sentence que Mark quitte une A.G estudiantine où se prône la révolution. Aussitôt lui est reproché son « individualisme bourgeois ». S’il n’est en rien bourgeois, ce beau brun taiseux va se révéler effectivement foutrement solitaire ; et pas sans humour : « Comment vous appelez vous ? – Karl Marx » répond-t-il à un flic au moment de décliner son identité. Nous sommes à Los Angeles à la fin des années soixante, dans un pays bouillant et sous pression comme une cocotte en fonte au bord de l’implosion. Chacun semble vouloir en découdre dans cette Amérique déchirée par la guerre du Viet-Nam et les cicatrices encore à vif d’un apartheid irrésolu.

 

ZABRISKIE POINT 1970 01

 

Assistant au meurtre d’un étudiant noir par la police, dont il pourrait être à tort accusé, le jeune homme renonce à jouer les shérifs à bord de son pick-up truck délavé et échoue sur le tarmac de Santa Monica Airport. Là il « emprunte » un petit avion de tourisme et choisit de s’évader au désert, à la lisière du Nevada. Le film décolle à son tour, quittant le registre de la chronique politique et sociale pour un long poème chérissant les utopies de son époque. Le célèbre Make love not war, dès lors tient lieu de viatique à la seconde partie du film qui voit notre héros foncer à bord de son aéroplane, tel un gros bourdon ivre, sur la conduite intérieure carrossée comme un tank que guide d’une main frêle une jeune femme adorable et bronzée. « Keep your eyes on the road and your hands upon the wheel » chantait la même année Jim Morrison à l’unisson. Pour l’anecdote, les Doors composèrent pour le film une musique qu’Antonioni déclina.

Frôlant sa proie à plusieurs reprises et, in fine, la panne d’essence Mark finit par se poser auprès de la belle qui l’emmène baiser à Zabriskie Point. Panne d’essence mais pas panne des sens ! C’est là, dans la Vallée de la Mort, dans le paysage chauffé à blanc d’une Amérique qui broie du noir, là où la terre ressemble à la Lune, que se clôt la parabole et qu’on enterre les vieilles lunes. Dans une orgie rêvée et le fantasme libérateur d’une destruction de l’ensemble des biens de consommation

Si vous pensez, ayant lu cela, que le film est daté, vous auriez tort. C’est un authentique chef-d’œuvre qui risque de vous voir sortir de la projection gorgée d’une insolente énergie rebelle.

 

Pierre Collier

 


 

Zabriskie Point de Michelangelo Antonioni (1970, 1h40)
Lundi 10 octobre à 17h à l'Institut Lumière

Séance présentée par Eric Lartigau.

Catégories : Lecture Zen