Posté le 09.10.2016 à 12H20
Pieds nus dans la neige par une nuit silencieuse et suspendue, est une des images emblématiques et marques de fabrique du cinéma très particulier du cinéaste coréen Park Chan-wook à découvrir ou à revoir à Lumière. Ou, quand le festival prend le spectateur pour l'emmener, sans lâcher sa main, vivre une expérience visuelle pas comme les autres.
Park Chan-wook c'est un étudiant en philosophie qui a choisi de livrer ses visions stupéfiantes sans les filtrer au cinéma. En dix longs-métrages, le réalisateur est devenu l'un des artistes les plus importants et des plus marquants de son pays, mais également du cinéma mondial. Car la vie, la société dite civilisée, vues par ses yeux ne ressemblent à aucune autre chimère.
Avant tout, le cinéma du sud coréen né en 1963, ce sont des personnages, des innocents mis dans des états pas possible et qui se mettent mécaniquement à se venger, à vous poursuivre de façon obsessionnelle, épuisante, presque comique, avec, mais oui (!), une pointe de tragédie mêlée. Park Chan-wook pratique l'absurde, le grotesque là où il y a souvent de la gravité. Dans un plan graphique de Lady Vengeance (2005) une série de parents d'élèves enrubannés de plastique, couteaux à la main attendent sur le banc de l'école de pouvoir, chacun son tour aller torturer l'homme qui a assassiné leurs enfants. L'attente paraît simple, commune même, comme pour une rencontre banale parents-professeurs, et pourtant...
Mais qu'on ne s'y trompe pas, ce n'est pas pour crâner, ou par pur amusement gratuit et vain que Park Chan-wook livre de telles visions, mais pour pratiquer une sorte de distance, un appel esthétique à la réflexion, une réflexion sur les actes que nous effectuons sans y penser assez et qui provoque le plus grand désordre, voire des mutations en chacun d'entre nous.
Ainsi par un cinéma splendide, coloré, inventif, libéré, divertissant, Park Chan-wook met sans ennui et toujours par la surprise la plus folle, le spectateur devant ses propres manques, sans le culpabiliser, uniquement par solidarité, car, après tout, le cinéaste se considère sans doute comme ses personnages : vulnérables mais déterminés.
Des hommes en pleine fleur de l'âge, admirablement et vigoureusement incarnés par les acteurs Choi Min-sik ou Song Kang-ho, se transforment ainsi en vampires (Thirst, ceci est mon sang, 2009), ou en version moderne du Comte de Monte-Cristo, avalant cru un poulpe encore vivant dont les tentacules n'en finissent pas de résister à sa bouche (Old Boy, 2003). Des femmes préfèrent devenir des robots (Je suis un cyborg, 2006) ou des jeunes filles apprennent à devenir de jolis serpents pour mieux s'en sortir dans un monde machiste (Mademoiselle, 2016, sortie en France le 2 novembre).
Un cinéma de genre dans ce qu'il a de plus admirablement cinglé.
Virginie Apiou
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