Posté le 13.10.2016 à 11h30
"Ne vous demandez pas si les films sont bons ou mauvais. Des films qui peuvent ne pas vous paraître réussis, peuvent se révéler fascinants".
Tout de noir vêtu, il a été ovationné par un public conquis d’avance, debout, à l’Auditorium de Lyon. En compagnie de Thierry Frémaux le directeur de l’Institut Lumière, il s’est lancé dans une passionnante master class-fleuve - deux heures tout de même ! -, mêlant références et souvenirs d’enfance, avec un enthousiasme communicatif, une précision maniaque et une générosité sans bornes. Et son inimitable débit de mitraillette... sans jamais semer sa remarquable et valeureuse traductrice, Massoumeh Lahidji.
© Institut Lumière / Photo Jean-Luc Mège
Cinéphile compulsif, Quentin Tarantino a poussé la passion jusqu’à s’acheter sa propre salle de cinéma, le New Beverley à Los Angeles, où il passe les films qu’il aime, les siens : que des films d’horreur en octobre, en l’honneur de Halloween. « Depuis des années, je collectionne des copies 16 et 35 mm, et je savais que je ne m’en tiendrais pas aux projections pour les amis. Cette salle, qui existait depuis 1978 était en souffrance, j’ai commencé à la soutenir financièrement, et à la mort du patron, je l’ai reprise ». De même, Quentin Tarantino soutient aussi financièrement « un vidéo club, un vrai vidéo club » de Los Angeles, « parce que s’il disparaissait ma vie serait moins drôle». Il y fait la programmation et anime même des soirées, projetant des films de sa collection personnelle et des copies en 35 mm qu’il reçoit d’archives du monde entier.
Sa sélection de 14 films sortis en 1970, programmée à Lumière, est celle d’un vrai cinémaniaque : elle comporte même un titre, La dame dans l’auto avec des lunettes et un fusil d’Anatole Litvak, que Bertrand Tavernier « n’avait jamais vu, et il n’y en a pas beaucoup », souligne Thierry Frémaux, « Teri » comme le nomme le réalisateur américain. Son intérêt pour l’année 1970 est né de la lecture du livre de Mark Harris Pictures of a revolution. La thèse du livre est que l’année 1967 a vu apparaître le « Nouvel Hollywood ». « Ce qu’il prouve brillamment c’est qu’à la fin 1967 le Nouvel Hollywood avait déjà vaincu, sans le savoir, et le vieil Hollywood avait déjà perdu, sans le savoir. » Puis les choses se sont accélérées et en 1970 il n’y avait plus que le Nouvel Hollywood. « Je voulais pour ma part, identifier le moment où la révolution avait vaincu, et je me souviens très précisément des films que j’ai vus cette année-là, à l’âge de sept ans. C’est un paysage cinématographique très précis dans mon esprit ».
Le cinéaste a alors commencé à se documenter, à lire tous les livres disponibles et a acquis la certitude que 1970 était l’année où ce Nouvel Hollywood s’était installé. Mais le Nouvel Hollywood, qui mettait sur la touche le public familial qui allait voir La mélodie du bonheur, resté à l’affiche pendant 5 ans, allait-il subsister ? Pourrait-il survivre commercialement ? Mais Chinatown, Five easy pieces et M.A.S.H. ont suivi, ce qui a permis l’apparition de films comme French connection, L’Exorciste, Ce plaisir qu’on dit charnel. Mais pourquoi se limiter à Hollywood ? Ce cinéphile obsessionnel s’est alors mis à faire des recherches sur les évolutions des cinématographies mondiales pendant l’année 1970. En prenant l’année de leur sortie en Europe. « C’était un sujet très intéressant, qui m’a occupé ces 4 dernières années ».
Va-t-il écrire un livre sur l’année 1970 ? faire un podcast en 4 épisodes ? tourner un documentaire ? « Peut-être. En tout cas, c’est à Lyon que tout ce travail a commencé ». Il ne pouvait pas « s’en tenir à une liste des 10 ou 20 meilleurs films », il fallait aussi voir les films des réalisateurs « un peu largués » dans l’année 1970, en dépassant la tentation de les juger, car les plus intéressants, et même fascinants, n’étaient pas forcément les meilleurs. Plus important que de dresser une liste de cinéphile, de critique de cinéma, son ambition pour ce projet est d’avoir une approche d’historien. Les 14 films projetés à Lyon ne sont pas forcément ses films préférés de 1970, mais ceux dont les copies en 35 mm étaient disponibles, et qui étaient les plus représentatifs de la production de cette année-là.
En « plongeant jusqu’au cou » dans les films, regardant tout ce qu’il trouvait, lisant des critiques de l’époque, faisant des recherches dans les librairies. Quentin Tarantino a réalisé que l’émergence de ce nouveau cinéma, le vent de liberté qui s’était emparé de Hollywood – on pouvait traiter tous les sujets, sans contraintes - avait été une mue douloureuse. «Mais d’autres promesses de l’année 1970 n’ont pas été tenues, comme de voir un vrai cinéma afro-américain émerger, avec Watermelon man par exemple, que des vraies voix noires émergent » Bien que fan de la blacksploitation, il a réalisé qu’elle avait « pris la place d’un cinéma noir authentique ». De même pour le cinéma érotique, il y a eu l’illusion qu’il sortirait des cinémas pornos pour aller dans des grandes salles et intéresser le grand public, même si Russ Meyer, - dont Hollywood Vixens a été un énorme succès - et Ken Russell ont fait de grandes œuvres. « Plus je cherche, plus je trouve » a résumé le réalisateur.
© Institut Lumière / Photo Olivier Chassignole
"Dans cette sélection de longs métrages de 1970, "il y a beaucoup de films intéressants. Ne vous demandez pas s'ils sont bons ou mauvais, parce que vous vous priveriez du plaisir de la découverte. Car des films qui ne vous sembleront pas réussis, peuvent se révéler fascinants", a demandé le cinéaste au public de Lumière. Dont acte.
Rebecca Frasquet