Les Visiteurs du soir

Le tandem Carné-Prévert avait conclu les années 1930 sur un chef-d’œuvre, Le jour se lève. Reformée en 1942, leur association produisit, sinon le plus grand film de l’Occupation (quel est-il ?), du moins son plus grand succès public. Les années étaient rudes pour le cinéma français : 36 titres en 1940, 59 en 1941. Et les spectateurs n’eurent à se mettre devant les yeux, entre 1940 et 1944, que des films autorisés, allemands (158 titres) et italiens (35).

On comprend que la sortie des Visiteurs du soir, si éloigné en apparence des préoccupations de l’époque, ait constitué un événement, en décembre 1942. D’abord par la magnificence du spectacle, dû à un budget quatre fois supérieur à celui d’un film habituel : les immenses murailles blanches du château, la beauté des costumes et la qualité des effets spéciaux avaient de quoi surprendre un public habitué à l’économie des films de l’époque. Ensuite par la puissance du sujet, cette histoire d’amour plus fort que la mort, qui, quoique située cinq siècles plus tôt, gardait une résonance contemporaine : la victoire provisoire des forces du Mal, les accents de résistance (le cœur des amants pétrifiés qui continuait à battre), il s’agissait bien d’une allégorie de l’occupant allemand…

Les Visiteurs du soir lança la vogue des scénarios fantastiques, qui fleurirent alors – La Main du diable (Maurice Tourneur), Le Loup des Malveneur (Guillaume Radot),Le Baron fantôme et La Fiancée des ténèbres (Serge de Poligny), façon d’échapper à un présent peu supportable.

Le film fut depuis estimé "académique" : à l’aune du merveilleux fouillis des Enfants du paradis, la cour du baron Hugues peut certes paraître un peu hiératique. Mais la sereine beauté d’Arletty, les pirouettes du mauvais diable Jules Berry n’ont perdu ni leur charme ni leur éclat.