Les mots de Deneuve


Posté le 14.10.2016 à 18H


 
Elle a forcé sa réserve naturelle, pour venir parler d’elle pendant une heure et demie, mais elle s’est prêtée au jeu avec élégance. Pour le public du festival, sous la houlette de Thierry Frémaux et Bertrand Tavernier, elle a évoqué aux Célestins ses rôles, les metteurs en scène qui ont compté dans sa carrière et dans sa vie, sa technique de comédienne… Extraits choisis.

 

06 Deneuve Masterclass Celestins Chassignole

© Institut Lumière / Photo Olivier Chassignole



Recevoir un hommage

« Il y a toujours pour les acteurs un sentiment d’illégitimité. Le fait que peut être cela soit disproportionné avec ce que l’on vit, avec ce que l’on ressent, avec ce que l’on est (…) Aujourd’hui je suis la seule et l’unique pour quelques heures, voilà. Je ne me considère pas comme auteur, en tout cas pas à part entière. Les acteurs sont avant tout des interprètes. Mais par les choix qu’on a faits, les réalisateurs avec lesquels on a voulu tourner, les personnages qu’on a voulus incarner, oui peut-être. C’est ce qu’il y a de plus difficile, les choix. On choisit principalement en fonction de l’histoire et du réalisateur.»



Au commencement : Jacques Demy

« Ma grande chance a été de tourner avec des réalisateurs vraiment importants assez jeune, à mes débuts. Donc c’est vrai, quand on a la chance de rencontrer Jacques Demy, moi je n’avais pas 20 ans quand je l’ai rencontré, c’est quand même quelque chose qui compte beaucoup dans votre vie. C’est une façon de voir le cinéma qui a été très importante pour moi, il m’a beaucoup influencée, oui. »



L'envie de travailler avec Lars Von Trier

« Comme je venais de voir Breaking the Waves qui m’avait vraiment beaucoup bouleversée, je lui ai écrit pour lui dire que si jamais il tournait en France, je serais vraiment très heureuse de pouvoir le rencontrer. Il m’a répondu en me disant que finalement il avait décidé d’abandonner ce film. En revanche, il préparait une comédie musicale avec Björk et il me proposait de jouer le rôle d’une actrice pour laquelle il avait pensé à une actrice noire américaine. J’ai dit "Oui, c’est évident" (…) A l’époque je tournais Place Vendôme avec Nicole Garcia et j’ai pris l’avion le week-end et j’ai été le rencontrer, c’est comme ça que ça s’est fait (…) ça m ‘intéressait de travailler avec lui et puis j’étais curieuse aussi de rencontrer Bjoörk, qui est une chanteuse que j’aime beaucoup, un personnage très étonnant. »



Les deux faces de Luis Buñuel

« Il avait un univers sombre, tourmenté, mais en même temps il avait beaucoup d’humour, ça ressort beaucoup dans ses films, c’était un personnage assez étonnant. (…) Un producteur français avait acheté les droits du roman Tristana que Buñuel voulait tourner depuis longtemps, de Benito Perez Galdos. Il était tellement heureux de retourner en Espagne, parce qu’il vivait au Mexique et c’était la première fois depuis Viridiana qu’il pouvait revenir, que c’était vraiment un autre aspect de sa personnalité que je n’aurais pas imaginé avant. Il était beaucoup plus gai, joyeux, il est même venu diner chez moi le soir, ce qui est très étonnant parce qu’il ne sortait jamais. »

 

S'abandonner à un metteur en scène

« L’idée c’est quand même de se laisser faire par un metteur en scène, ça ne veut pas dire qu’on n’a pas d’idées ou qu’on ne peut pas poser des questions… mais a priori moi ce que je veux c’est pouvoir m’abandonner un peu et me dire que je fais totalement confiance, mais ça ne n’empêche pas de rester critique. J’ai du mal à imaginer des comédiens qui travaillent seuls ou avec quelqu’un d’autre que le réalisateur, en amont du film. »

 

Une carrière américaine ?

« Franchement non, l’occasion ne s’est pas présentée. Moi j’ai tourné deux films là-bas et je n’ai pas eu envie de rester à la fin du tournage, parce que j’avais envie de rentrer en Europe, mais c’est surtout qu’on ne m’a pas fait des propositions si intéressantes que ça. Je ne peux pas dire que j’ai refusé une carrière américaine, franchement. Je pense que si les deux films avaient été des énormes succès ça aurait sans doute changé les choses mais ça n’a pas été le cas. (…)  Ca me serait difficile de vivre ailleurs qu’en France, je ne suis pas très Parisienne mais je suis très Française, je me sens plus Française que Parisienne. »

 

Aussi proche que différente : Françoise Dorléac

« Elle était assez extravagante et excentrique dans sa façon d’être, de se nourrir, de vivre avec des animaux et des animaux en peluche. Mais dans la vie elle était quand même beaucoup plus raisonnable, pas si extravagante que ça finalement. Moi je faisais ce que j’avais envie de faire, comme j’avais envie de faire, sans le proclamer, je me débrouillais pour vivre ma vie comme je voulais sans que ce soit une chose publique. Les sœurs c’est à la fois beaucoup plus intime, violent, direct – je n’avais que 18 mois de différence avec ma sœur. On était à la fois très proches et tellement différentes, qu’on était complémentaires. Dans une famille nombreuse - on était quatre filles, c’est beaucoup quand même - chacun trouve sa place dans le creux de l’autre, tout le monde s’incruste comme il peut. Et c’est vrai que ma sœur Françoise prenait beaucoup de place. »

 

08 Deneuve Masterclass Celestins Chassignole

© Institut Lumière / Photo Olivier Chassignole

 

Le scandale de La Grande bouffe à Cannes en 1973

« Moi je ne faisais qu’accompagner l’équipe et Marcello Mastroianni, parce que j’avais suivi le tournage du film, donc je n’étais pas très concernée. J’étais assez ahurie quand même de la violence : il y a même une femme qui a craché sur Marco Ferreri, j’étais assez sidérée, mais c’est vrai que c’est un film assez dérangeant. Cannes c’est très particulier : c’est en même temps les gens de cinéma et les gens de la ville de Cannes, donc c’est très contrasté comme public. »

 

L'ami cinéaste André Téchiné

« Avec André Téchiné oui, il y a un compagnonnage. Quand on rencontre certains auteurs et qu’on parle avec eux avant ou après le film, il y a des choses qui se mettent en place différemment. Je ne suis pas sûre que j’aurais écrit à Lars von Trier dix ans plus tôt, par exemple. Mais ça peut aussi être le fruit de choses plus personnelles qui se mettent en place avec des metteurs en scène comme André Téchiné, Christophe Honoré ou Gaël Morel. (…) André Téchiné je le connais depuis plus de 20 ans on a fait plusieurs films ensemble, dans la vie c’est un ami, c’est un peu particulier. Il y a des réalisateurs avec qui j’étais proche et qui ne sont plus là, comme François Truffaut ou Jacques Demy. »



Vous avez dit cinéphile ?

« Je vois beaucoup de choses, beaucoup de films français bien sûr, beaucoup de films asiatiques aussi, et puis je lis quand même les critiques donc je me décide souvent même sur des films qui ne sont pas toujours d’immenses succès commerciaux. J’ai vu Strangers de Na Hong-jin, j’aime beaucoup le réalisateur chinois Jia Zhangke, j’aime beaucoup le cinéma asiatique. Mais j’aime beaucoup le cinéma français parce que ça reste quand même ma langue, il y a quelque chose qui est unique, et quand c’est réussi, c’est quelque chose qui vous transporte. »



Truffaut le passionné

« Il aimait beaucoup les actrices, les acteurs, le cinéma, c’était sa passion, sa vie. Lui trouvait le cinéma beaucoup plus intéressant que la vie, notre discussion était toujours là-dessus, moi je trouvais que la vie était beaucoup plus intéressante que le cinéma. On allait au cinéma ensemble. C’était vraiment un directeur d’acteurs formidable, il était tellement passionné. »

 

Préparer un rôle

« Pour moi la préparation ce serait plutôt l’idée de m’imprégner de l’histoire, de lire l’histoire, certains passages… Je ne travaille pas beaucoup avant, seule, j’essaie de me forger une idée du personnage tout en restant très ouverte à ce que le metteur en scène va faire. (…) Sur le tournage, je suis plutôt dans une attitude de concentration immédiate à partir du moment où je suis sur le plateau, que je quitte dès que je quitte le plateau. J’ai l’impression que mes batteries ont besoin d’être rechargées assez souvent. L’intensité que je peux avoir sur le plateau m’oblige à me reposer (…) L’attente des acteurs elle n’est jamais vide, jamais creuse, il y a quand même quelque chose qui continue de vivre et de battre à l’intérieur de vous. »

 

Rebecca Frasquet

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