Le bel Antonio


Posté le 10.10.2016 à 18h


 

Le cinéaste Antonio Pietrangeli n'a pas eu le temps de vieillir, il est mort accidentellement à 49 ans laissant derrière lui une œuvre de scénariste et de réalisateur de treize films, de 1953 à 1969. Une œuvre réelle avec des filles, plein de filles, et des hommes qui ne cherchent qu'à profiter de cette Italie renaissante de la deuxième moitié du XXe siècle.

On retrouvera alors l'utilisation si vivante et divertissante de chansons de variétés qui ponctuent notamment le très poignant Je la connaissais bien (Io la conoscevo bene, 1965) où Stefania Sandrelli, fille de son temps danse avec un  Jean-Claude Brialy jeune homme, couche avec des professeurs nettement plus âgés, et change de perruques toutes les trois secondes avec, au fond, un rêve secret, devenir célèbre, devenir actrice, une quête qu'elle croit être celle du bonheur. Dans un noir et blanc qui semble être en couleurs tant il irradie de modernité, le film de Pietrangeli, scénarisé également avec Ettore Scola (futur autre grand cinéaste des italiens et de leur mode de vie en terrasse), est un doux tourbillon sur la tragédie, non pas d'un homme ridicule, mais d'une midinette apparemment sans cervelle, qu'on refuse de voir autrement que comme un corps fait pour le désir.


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Le désir, peut-être plus encore que l'amour, traverse, tend, crucifie l'univers Pietrangeli et le rend primordial. Il le fait avec un activisme latent, une conscience sociale étouffée dans Du soleil dans les yeux (Il sole negli occhi, 1953), premier film de Pietrangeli, ou l'histoire d'une jeune bonne venue exercer sa profession dans les milieux aristocratiques de Rome. Il le fait avec une mélancolie endurante et muette avec ce qui est notamment la marque de fabrique prenante du cinéma de Pietrangeli : des gros plans sur ses jeunes héroïnes qui ne parlent plus et ont le regard dans le vide (Stefania Sandrelli dans Je la connaissais bien, la plantureuse Sandra Milo dans Annonces matrimoniales (La Visita, 1963). Ces plans sont un mélange de cruauté, -ces filles pensent-elles quelque chose ?-, et d'humanité totale, -tout le monde a le droit d'être vu, vraiment, pas seulement désiré(es).


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Du soleil dans les yeux (Il sole negli occhi, 1953)

Le cinéma de Pietrangeli observe comme des insectes pas si intelligents que cela, ses héros, qui, d'ailleurs, se fichent éperdument de paraître malins. C'est infiniment poignant et infiniment sympathique. Préoccupé uniquement de montrer que tout être, même celui qui peut sembler le plus artificiel, renferme tout un monde, le cinéaste met toute son énergie à filmer la fantaisie et l'importance de vivre comme ça, pour rien, avant qu'il ne soit trop tard. C'est ce que promet l'excentrique Fantômes à Rome (Fantasmi a Roma, 1961), où Marcello Mastroianni (dans trois rôles différents dont un rouquin ridicule, et un fantôme obsédé sexuel vraiment emballant), côtoie un Vittorio Gassman tout aussi mort et énervé de ne pouvoir intervenir dans l'existence des autres, les vivants, comme ils le souhaiteraient.

Un véritable patrimoine !

 

Virginie Apiou

 



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